Horr s’avança vers les troupes ennemies et se mit à les haranguer

« … Traîtres, lâches, couards ! Comment osez-vous donc couper l’eau de l’Euphrate à ces femmes et enfants, alors que même les chiens et les pourceaux s’y abreuvent librement ! Voilà que la famille du Prophète se meurt de soif sur la rive du fleuve ! Honte à vous ! Honte à vous !… »

‘Omar Ibn Sa‘d n’en pouvait plus. Il décocha une flèche et hurla :

« Soyez témoins que je fus le premier à tirer sur le camp de Hossayn ! »

Et dire que de grands spécialistes du hadith, comme Ahmad Ibn Hanbal ou Maqdîsî, considèrent cet homme comme un rapporteur digne de foi dont les hadiths sont authentiques! Que Dieu nous préserve d'une pseudo-science qui accepte des hadiths de mains tachées du sang de la Sainte Famille du plus noble Prophète, Dieu le bénisse lui et les siens.

Une pluie de flèches suivit et l’Imam, que la Paix soit avec lui, s’écria :

« Debout, fidèles compagnons ! Soyez prêts à mourir, car il n’y a point d’autre issue ! Que Dieu vous fasse miséricorde ! Voilà les messagères que ces gens vous envoient. »

Et un premier assaut eut lieu, suivi d’un autre, avec leurs premières moissons de martyrs.

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Après l’assaut, Horr bondit comme un lion vers le champ de bataille pour défier l’adversaire en combat singulier. Fidèle à sa réputation, il tuait, les uns après les autres, ceux qui venaient vers lui. Son cheval, criblé de flèches, se mit à vaciller, mais lui, sautant à terre, continuait de faire voler son sabre et de couper les têtes, jusqu’à ce que, en désespoir de cause, des soudards d’Ibn Sa‘d fondent sur lui en groupe et le fassent succomber.

Mais avant de mourir, Horr eut le temps de voir son Imam en personne venu le conforter dans ses derniers instants, et de l’entendre dire :

« Horr, “homme libre”, ta mère n’a pas eu tort en te donnant ce nom : homme libre, tu l’es, en ce monde et dans l’autre ! »
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Les épreuves s’abattirent, les unes plus lourdes que les autres, sur le campement des Gens de la Demeure prophétique, les pluies de flèches succédant aux combats singuliers et les assauts aux pluies de flèches…

Les uns après les autres, les compagnons les plus fidèles que le monde ait connu, goûtèrent au nectar du martyre, donnant leur vie pour nous montrer le chemin de la foi et de l’humanité :

Horr, l’homme libre en ce monde et dans l’autre ;

Borayr, qui lisait le Coran chaque nuit en entier et pendant quarante ans fit la prière de l’aube sans avoir fermé l’œil ;

Habîb, fils de Mazâhir, le vieux compagnon qui déjà combattait aux côtés de ‘Alî fils d’Abû Tâleb, Commandeur des Fidèles, la Paix soit avec lui ;

et tant d’autres encore dont les noms brillent comme des astres au firmament de l’islam et de l’humanité, l’humanité dont on aurait dit qu’elle s’était toute entière donnée rendez-vous dans cette poignée d’hommes.

C’était comme si toutes les races, toutes les classes sociales, hommes aussi bien que femmes, adultes et enfants, tous avaient voulu offrir leur martyr et dire :

« Nous aussi, nous étions là ; nous aussi, nous pouvons être du peuple de la foi ; nous aussi, nous voulons construire l’humanité de justice et de vérité ; toutes les différences d’âge, de sexe, de race et autres choses s’effacent devant Dieu, et seules restent la foi, la vertu, la valeur intrinsèque qui fait un être humain… »

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Djawn était noir comme l’ébène. Ancien esclave, il avait été affranchi par Abû Dharr al-Ghifârî, le grand compagnon du Prophète, que les Bénédictions et la Paix divines soient sur lui et les siens. De ce jour, il était resté attaché au service de ce fidèle parmi les fidèles, et il avait appris de lui la valeur d’un engagement sincère, d’un engagement auquel on se tient jusqu’au bout, quel qu’en soit le prix.

Djawn partageait aussi avec son ancien maître l’amour qu’il vouait à la Sainte Famille des Gens de la Demeure prophétique. C’est donc tout naturellement qu’il s’était joint à la caravane de l’Imam Hossayn, que la Paix soit avec lui. Maintenant, il voulait lui aussi verser son sang pour le petit-fils du Messager de Dieu. Il s’approcha donc de l’Imam Hossayn :

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« Que la Paix soit avec toi, ô fils du Messager de Dieu, Dieu le bénisse lui et les siens. Permets-moi, mon Seigneur, d’aller à mon tour à la rencontre de la mort.

— Que la Paix soit avec toi, Djawn. ô Djawn, tu nous as suivi par amour pour nous, mais en tant qu’affranchi, il ne t’incombe pas de livrer ce combat. Ne te lance pas pour nous dans une épreuve qui sera sans issue. Prends donc, avec ma permission, un chemin qui t’évite ces malheurs.

— ô fils du Messager de Dieu, j’ai partagé avec vous vos repas dans les jours d’aise et de bien-être, et je vous laisserais sans partager le calice du martyre à l’heure de l’épreuve ? Mon sang serait-il indigne de se mêler à celui de ces nobles seigneurs des grandes tribus arabes ? Mon seigneur, je t’en prie, ne me prive pas d’entrer au Paradis en votre compagnie. »

L’Imam Hossayn donna sa permission, et Djawn se précipita, plein de joie, vers le champ de bataille.

L’usage des guerriers arabes était alors, avant d’entamer le combat, d’improviser quelques vers dans lesquels ils tiraient gloire de leur lignage et de leur réputation au combat. Djawn, l’ancien esclave affranchi, ne pouvait bien sûr faire valoir ni lignage, ni réputation… mais il pouvait afficher la vérité simple et crue de son choix d’être humain :

Comment les mécréants voient-ils les coups de l’homme noir ?

Des coups de sabres pour protéger les enfants du Prophète ?

Je prendrai leur défense par la langue et la main,

Espérant par cela entrer au Paradis en arrivant là-haut.

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Un jeune adolescent se trouvait, lui aussi, en compagnie de ses parents, parmi les fidèles des Gens de la Demeure prophétique, que la Paix soit avec eux. Son père était déjà tombé martyr et sa mère, maintenant, le poussait à partir à son tour au combat :

« Va, mon tout jeune fils. Va et bas-toi devant le fils du Messager de Dieu, Dieu le bénisse lui et les siens. »

Il s’élança donc vers le champ de bataille, mais l’Imam Hossayn le fit revenir : déjà, son père était martyr, sa mère pouvait ne pas souhaiter perdre celui qui lui restait. Mais l’adolescent fit remarquer que c’était sa mère elle-même qui l’avait poussé à combattre et que lui-même n’en était que plus heureux de pouvoir ainsi aller se sacrifier pour la religion de Dieu et les enfants du Messager de Dieu.

Etant d’origine modeste, il n’avait, comme Djawn, ni lignage, ni réputation à faire valoir dans ses vers. Mais il se rattacha alors au meilleur lignage et à la meilleure réputation qui soient :

Mon Emir est Hossayn : quel excellent Emir :

Il est la joie du cœur du Messager de Dieu !

Ses parents sont Fâtima et puis ‘Alî :

connaissez-vous sur terre quelqu’un qui soit ainsi ?

Son visage est pareil au soleil du matin,

La tache de son front est un vrai clair de lune.

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Lorsqu’il tomba martyr, les hommes de ‘Omar Ibn Sa‘d Ibn Abî Waqqâs le décapitèrent et jetèrent sa tête dans le campement de l’Imam Hossayn, que la Paix soit avec lui. Sa mère la ramassa et la serra contre elle en disant :

« Bravo à toi, mon tout jeune fils ! Bravo à toi, joie de mon cœur ! Bravo, à toi, lumière de mes yeux ! »

Puis elle lança avec fureur la tête décapitée de son fils sur un cavalier ennemi, qui tomba de cheval et mourut. Se saisissant alors d’un pieu, la vieille mère au cœur meurtri se rua sur l’ennemi en déclamant ces vers :

Vieille servante de mon seigneur,

Je suis frêle et chétive, seule et sans plus personne,

Je vous assène des coups pleins de fureur

Pour défendre les enfants de Fatima la noble.

'Ashourâ',

le jour où le sang des martyrs

a vaincu le sabre des injustes

Que la Paix soit avec toi,

Abou 'Abdi-Llâhi l-Hossayn,

Ainsi qu'avec toutes les âmes

Qui prirent place auprès de toi.