L'Imam Hossavn regarda longuement sa sœur Zaynab, et il reprit

-Zaynab, je te recommande particulièrement de veiller sur mon fils Ali Zayn Abidine; que la maladie a conduit à deux doigts de la mort. C'est lui mon Successeur. Il te faut coûte que coûte le protéger. Je te recommande aussi Soukeina ma petite. fille, qui ne m'a jamais Quitté, pas même un seul jour. Console-la du mieux que tu le pourras. Je me souviens de quelle manière elle a demandé à son oncle Abbas de rapporter de l'eau ; mais depuis sa mort elle n'a pas soufflé un mot. Quand vous recevrez à boire, ,après ma mort, donne-lui à boire à elle en premier.

Chacun des mots que prononçait l'Imam Houssein pénétrait dans le cœur meurtri de sa sœur. Zaynab était incapable de répondre. Tout ce qu'elle pouvait faire était de hocher la tête pour montrer Qu'elle avait bien compris, et qu'elle ferait son devoir.

- Zaynab, les hommes de Yazid vont vous prendre comme prisonniers. Peut-être arracheront ils les voiles des femmes. Peut-être vous exhiberont-ils dans les rues de Koufa et de Damas. Peut-être vous attacheront-ils ou vous chargeront-ils de chaînes.

Peut-être même iront-ils jusqu'à vous frapper et vous torturer, vous les femmes et les enfants de la Maison du Prophète! C'est une longue période de dures épreuves qui commence pour vous tous, Zaynab. Je te demande de ne jamais perdre patience, de ne jamais perdre espoir. Zaynab, c'est à toi, à toi seule, qu'il reviendra de redonner courage aux enfants et aux femmes, et de leur demander sans cesse de prier Dieu de les aider à tout supporter. N'oublie jamais, Zaynab, que nous, Gens de la Maison du Prophète, nous devons toujours rester fermes à l'heure des épreuves, sans même jamais maudire nos bourreaux !

Quand l'Imam Houssein eut fini dé parler, Zaynab le regarda à travers ses larmes et dit, d'une voix douce:

- Houssein, mon frère, je te promets de faire exactement tout ce que tu m'as commandé. Mon frère, prie pour moi, que Dieu me donne la force et la patience dont j'aurai besoin. Avec le secours de Dieu Tout Puissant, j'assumerai toutes les responsabilités qui m'incombent désormais. et je montrerai à tous que je suis Zaynab, la sœur de Houssein, la fille d'Ali et Fatima, la petite-fille de l'Envoyé de Dieu !

L'Imam Houssein embrassa longuement sa sœur, puis il se tourna vers la fidèle Fizza, sa nourrice, qui l'aimait comme son propre fils. Elle avait promis à Fatima, la mère de l'Imam Houssein, de veiller sur lui, de ne jamais le quitter. Et malgré son grand âge, pour tenir sa promesse, elle n'avait pas hésité à se lancer dans ce long et périlleux voyage, malgré tous les efforts de l'Imam pour l'en dissuader.

L'Imam Houssein entra sous la tente où gisait, toujours inconscient, son fils Ali Zayn Abidine. Il lui toucha l'épaule, en disant: - Mon fils, je viens te dire adieu. Lève-toi, et embrasse moi pour la dernière fois. Ali Zayn Abidine s'éveilla de sa torpeur. Il ouvrit les yeux, vit son père qu'il eut du mal à reconnaître tant ses traits accusaient les épreuves de la journée. Avec un effort surhumain il réussit à s'asseoir sur son lit.

- Mon Dieu ! Qu'ont donc fait- les ennemis à mon père, pour qu'il en soit si affecté ? Père, où est mon oncle Abbas, où est mon frère Akbar ? Où sont mes cousins Qasim, et Aoun et Mohammad ? Comment est-il possible que tu sois dans un tel état si un seul d'entre eux est encore vivant pour te protéger ?

- Mon fils, tous ont goutté le Martyre en me défendant ainsi que la cause de l'Islam. Il ne reste plus aucun homme dans le camp, à part toi et moi. C'est maintenant mon tour d'aller combattre et de mourir les armes à la main. Je suis venu te dire adieu.

A ces mots, Ali Zayn Abidine se mit debout, et dit en chancelant:

- Père ! Tant que je serai en vie tu ne peux être tué! Je demande ton autorisation d'aller au combat comme ont fait tous les autres avant moi!

Mais il était brûlant de fièvre. Il ne put rester debout, ses jambes ne le portaient pas...

- Mon fils, répondit l'Imam Houssein, je t'ordonne, en tant que ton père et ton Imam, de rester dans ce lit. Ton devoir est d'accompagner tes tantes, ta mère et tes sœurs, et les autres femmes en captivité. Ton devoir est de marcher dans les rues de Koufa et de Damas les mains et les pieds chargés de chaînes. Ton devoir est de supporter les insultes à la Cour de Yazid, et de subir tout cela avec fermeté d'âme et patience. Ton devoir est de montrer à tous, à Yazid comme aux Musulmans, aux vivants et aux générations futures, que nous, Gens de la Maison du Prophète, nous pouvons supporter toutes les épreuves et toutes les peines avec une Foi indéfectible en Dieu et en notre Cause. Ton devoir, mon fils, est de prouver à tous, en tous lieux et à toutes les époques, que le véritable combat, le véritable Jihad, est de montrer sa Foi quand sonne l'heure des épreuves, quand on rencontre les pires difficultés, les plus éprouvantes situations. Ce que tu vas souffrir, mon fils, est mille fois pire que la mort, car la mort apporte le soulagement. Mais toi, mon fils, tu devras vivre des années et des années, avec le souvenir des plus cruelles des souffrances!

L'Imam Houssein serra son fils contre son cœur. Le père et le fils se séparèrent pour toujours. Ali Zayn Abidine, accablé de chagrin autant que par sa maladie, s'effondra inconscient. La Miséricorde de Dieu lui épargna d'assister au départ de son père.

***

Ses adieux terminés, l'Imam Houssein enfourcha son cheval Zuljanah. Zaynab, surmontant sa propre peine, s'occupait de réconforter chacun. L'Imam Houssein éperonna sa monture, mais Zuljanah demeura immobile. Que se passait-il donc?

L'Imam Houssein, regardant tout autour, découvrit sa petite fille, Soukeina, qui tenait les pattes avant du cheval en murmurant:

-Zuljanah, je t'en supplie, n'emporte pas mon père sur le champ de bataille d'où personne n'est revenu aujourd'hui. Zuljanah mon oncle Abbas est parti chercher de l'eau, mais il n'est jamais revenu. Zuljanah, j'ai entendu parler mon père : il veut partir pour toujours et ne reviendra jamais.

Zuljanah, n'emporte pas mon père, si tu ne veux pas me voir orpheline, sans personne pour m'aimer ni s'occuper de moi.