Rassemblant ses faibles forces, Ali Zayn Abidine s'était redressé

- Ma tante, c'est notre devoir religieux de faire tout notre possible pour rester en vie, aussi pénible et peu désirable que puisse être ce qui nous attend!

Maintenant, ce qui restait de la Famille du Prophète s'était regroupé dans les débris d'une tente à moitié épargnée par l'incendie. Zaynab avait rassemblé les enfants, environ une quarantaine, et les femmes les comptaient, les identifiaient un par un pour s'assurer qu'aucun ne manquait. Quelle ne fut pas la consternation de Zaynab, d'Omm Rabab, et de tous les survivants en s'apercevant que Soukeina n'était pas là ! Laissant le campement à la garde des autres, Zaynab et Kolsoum se lancèrent à sa recherche. Longtemps elles errèrent dans la nuit sombre, marchant au hasard dans le désert. Elles appelaient:

- Soukeina! Où es-tu? Soukeina! Réponds!

Mais seule la plainte du vent répondait à leurs appels.

En désespoir de. cause, Zaynab se dirigea vers l'endroit où reposait le corps de l'Imam Houssein. Avant même de l'atteindre, elle cria, des sanglots dans la voix:

-Houssein, mon frère! Je ne parviens pas à retrouver Soukeina! Houssein, mon frère! J'ai perdu ta fille chérie, que tu m'avais confiée! Houssein, mon frère! Dis-moi où elle est!

Comme Zaynab arrivait près du corps sans vie de l'Imam, la lune parut dans le ciel. A travers une déchirure dans les nuages de poussière, elle éclaira le champ de bataille endormi. Zaynab vit alors sa nièce. Soukeina dormait, serrée contre son père, le visage reposant sur sa poitrine.

- Soukeina! Soukeina! Réveille-toi ma chérie! Soukeina! Soukeina! Que fais-tu ici?

Soukeina leva vers sa tante son visage encore plein de sommeil. Sous la sombre clarté des rayons de lune filtrés par les nuages de sable, Zaynab vit les yeux de sa nièce. On aurait dit que tout son cœur, toute sa vie avaient été emportés par les larmes que l'enfant avait versées. Zaynab éloigna Soukeina du cadavre décapité de son père. La petite fille lui raconta comment, après la ruée sauvage des hommes de main du tyran, elle n'avait eu qu'une pensée: retrouver son père, pour lui confier sa peine. Elle avait marché droit devant elle, en l'appelant. Elle s'était laissé guider par le murmure du vent. Quand elle avait ainsi découvert le corps de l'Imam Houssein, elle lui avait tout raconté. Tout! Tout ce qu'elle avait souffert après son départ. Et tout ce que chacun avait enduré. Et comment un soudard lui avait arraché les boucles d'oreille que son père lui avait offertes, déchirant le lobe des oreilles, couvrant son visage de sang. Et comment cette brute inhumaine, rendue furieuse par les pleurs de l'enfant l'avait fouettée, fouettée, fouettée! A la fin, épuisée, Soukeina avait posé sa tête sur la poitrine de son père, comme elle l'avait fait tant de fois par le passé. Elle s'était endormie. Zaynab montait la garde. Tout le monde dormait dans ce qui restait de la tente à demi consumée. Les femmes formaient un cercle. Les enfants étaient au centre. Soudain, des pas! Des silhouettes, éclairées par des torches, approchaient.

-Que voulez-vous encore? Vos gens nous ont déjà tout volé. Laissez-nous! Laissez les pauvres enfants prendre un peu de repos. Si vous tenez vraiment à vous assurer qu'il n'y a plus rien à dérober, revenez demain! Il n'y a ici que des femmes et des enfants sans défense... Nous n'allons pas disparaître pendant la nuit !